Peut-on hériter du traumatisme de nos ancêtres ?

 

C’est une découverte incroyable : des souris soumises à une expérience désagréable ont transmis, via leur ADN, la mémoire de cet événement à leur progéniture. Un héritage « épigénétique » qui réinterroge la notion de l’inné…

Pour ceux qui reprochent aux jeunes gens de faire peu de cas des leçons de leurs aînés et qui s’offusquent que la mémoire des événements passés (comme un traumatisme) se dissolve dans l’agitation du présent, la nouvelle devrait singulièrement apaiser leurs craintes : le souvenir de ce qu’ont vécu nos ancêtres, loin d’être perdu, se trouve tapi au plus profond de nous. Mieux, c’est dès la naissance que chacun profiterait en droite ligne de l’expérience de ses aïeux.

Cela sans en avoir toutefois conscience. Par exemple, vous avez peur des chiens ? Eh bien, il se pourrait que votre grand-père se soit douloureusement fait mordre dans sa jeunesse.

Vous aimez manger gras ? C’est peut-être parce que votre arrière-grand-mère connut les affres de la faim pendant la guerre, quand bien même elle n’osa jamais en parler.

Difficile à admettre car voilà qui semble déposséder chacun de sa propre expérience et, plus globalement, rebat les cartes de l’inné et de l’acquis ? Une chose est sûre : les

chercheurs Kerry Ressler et Brian Dias, de l’université Emory d’Atlanta (Etats-Unis), ont fait une extraordinaire découverte en observant, pour la première fois, la transmission d’un souvenir via … l’ADN ! En l’occurrence, le souvenir était celui de souris qui associaient une odeur à une expérience désagréable ; l’étude démontra que la mémoire de cette expérience fut transmise aux générations suivantes par cette seule voie biologique.

TRAUMATISME : JUSQU’À LA 3 eme GÉNÉRATION

Concrètement, les chercheurs ont d’abord appris à des souris mâles à avoir peur de l’odeur spécifique d’une molécule chimique, appelée acétophénone. Ils ont associé plusieurs fois de suite cette odeur à un choc électrique.

Dans les dix jours qui ont suivi, ces mâles se sont reproduits avec des femelles qui n’avaient, elles, jamais été exposées à cette odeur.

Résultat : la descendance, élevée exclusivement par les femelles, a instinctivement sursauté lors de sa première exposition à l’acétophénone (voir infographie). Beaucoup plus que les descendants de souris qui n’avaient pas appris à la craindre, ou même qui avaient appris à craindre une autre odeur. Un comportement qui pouvait aussi être transmis par les mères, ou en utilisant une autre odeur… Et qui persistait à la 3ème génération ! Dès lors, la conclusion s’imposait : des souris avaient, à leur naissance, hérité d’une forme de souvenir appartenant à leurs parents, indépendamment de tout apprentissage.

Elles savaient ce que leurs parents avaient, eux, dû apprendre par eux-mêmes.

LE SECRET ? L’ÉPIGÉNÉTIQUE

Magie ? Télépathie ? Non : le secret de cette incroyable transmission mémorielle s’appelle l’épigénétique. Soit l’ensemble des processus biologiques qui modifient l’ADN au cours de la vie. Là où la séquence des gènes ne change qu’au gré de mutations rares et aléatoires, les modifications épigénétiques sont régulièrement provoquées par les expériences que nous vivons et changent la façon dont s’exprime l’information contenue dans les gènes.

Par exemple, la pratique d’un sport entraîne des modifications de l’ADN qui changent la manière dont s’exprime un des gènes essentiels au métabolisme du glucose.

L’épigénétique ne cesse de révéler des phénomènes que l’on ne comprend pas encore. Il est temps que la communauté scientifique s’en empare – EVA JABLONKA, spécialiste de l’hérédité épigénétique, Institut Cohn, Tel Aviv

Or, les biologistes ont récemment montré que ces modifications peuvent, à l’instar des mutations affectant les gènes, être transmises d’une génération à l’autre. Mais jusqu’alors, cette hérédité épigénétique avait tout l’air d’un accident de parcours : de nombreuses études montrent que le stress des parents peut augmenter le risque de dépression chez les enfants, ou qu’une alimentation déséquilibrée favorise le diabète chez la descendance.

En clair : les aléas de la vie altèrent l’ADN, et ces changements passent à la descendance de manière fortuite et, le plus souvent, néfaste.

Avec la découverte des chercheurs de l’université Emory, on observe tout autre chose : ce qui est transmis, c’est une information précise qu’il est avantageux pour la descendance d’avoir en sa possession.

Et voilà que l’hérédité épigénétique, d’indésirable, devient un extraordinaire allié. Un moyen inventé par l’évolution pour que les parents transmettent aux enfants les leçons de leurs expériences. Pourquoi attendre qu’ils l’apprennent à leurs dépens, si on peut leur transmettre l’information biologiquement ? interroge ainsi Lawrence Harper, spécialiste de l’hérédité des comportements à l’université de Californie-Davis.

La nature aurait-elle inventé, avec la transmission des expériences par l’ADN, un puissant accélérateur d’évolution ?

La transmission épigénétique des souvenirs permet, une adaptation beaucoup plus rapide des populations : si une génération d’individus est massivement confrontée à un danger nouveau, dès la génération suivante, une grande partie des descendants pourrait développer un caractère les protégeant de ce danger.

Reste cependant à valider l’existence d’un tel mécanisme, qui ébranle les connaissances actuelles. Jusqu’ici, personne n’avait mis au jour, chez un mammifère, la transmission épigénétique d’un comportement appris. C’est l’exemple de transmission épigénétique le plus complexe que je connaisse, commente Eva Jablonka, spécialiste de l’hérédité épigénétique à l’institut Cohn (Tel Aviv).

Mais rien ne me paraît plus incroyable. Avec l’;épigénétique, on découvre toujours plus de phénomènes étranges, que l’on ne comprend pas encore. Il est temps que la communauté scientifique s’en empare.

Par quelles voies un message aussi complexe que la peur d’une odeur peut-il passer

d’une génération à la suivante ? Par le biais d’hormones ? Ou via des molécules de

régulation épigénétiques impliquées dans la mémoire, et qui seraient capables de passer du cerveau dans le sang, et modifieraient directement les cellules sexuelles ? Et, une fois arrivé jusqu’aux ovules et spermatozoïdes, comment ce message serait-il codé dans l’ADN, en dehors des gènes ? Enfin, comment de telles modifications épigénétiques se maintiennent-elles sur des générations ?

L’IDÉE QUE NOUS POURRIONS HÉRITER DE SOUVENIRS APPARTENANT À NOS PARENTS EST… VERTIGINEUSE

En attendant, les faits sont là : le vécu des pères (du moins chez les souris) modifie le comportement des générations suivantes. Dans l’intimité des cellules nichent des souvenirs… hérités des parents. Ce qui ouvre des questions que vont devoir affronter non seulement les biologistes, mais aussi les philosophes… Car il faudra expliquer ce que peut bien signifier de faire ses premiers apprentissages avant même d’avoir été conçu.

Comment il est possible d’engranger ses premiers souvenirs, alors que n’a pas même eu lieu la rencontre décisive entre un ovule et un spermatozoïde… Autant de questions qui donnent le vertige.

IL L’A DIT

Tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus [… ], elle le conserve pour la génération de nouveaux individus, postulait il y a deux siècles le zoologiste Jean-Baptiste Lamarck . Cette idée d’hérédité des caractères acquis, exclue de la théorie de l’évolution inspirée par Darwin, revient en force depuis la découverte des phénomènes de transmission épigénétique.

Dans un article rapporté par ELSA ABDOUN

Peut-on hériter du traumatisme de nos ancêtres ?
Sciences et Vie Publié le 22 Déc 2022 à 12H00 / modifié le 19 Déc 2022

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